LONDON CALLING


Les deux galeries londoniennes de Larry Gagosian sont très différentes l’une de l’autre. Celle se situant à St Pancras, abrite, par exemple, des points – bien entendu – mais sur des supports rectangulaires, circulaires et triangulaires. D’autres comportent des lettres ou des chiffres accolées aux pois de couleur. La deuxième galerie de Davies Street, quant à elle, est de la taille de la plus grande des œuvres exposées à Britania Street et accueille des points de couleur parfois  aussi ridiculement petits qu’une boîte d’allumette. Mon tour du monde commençait donc là.

En abandonnant le surf inutile sur le net à la recherche d’un job, je sentis que, de nouveau, je faisais partie du monde et que je redevenais un être social. Un voyage vain redonnait un sens à ma quête de valeur(s).

Dans la galerie de Davies Street je fis la rencontre de Ray et Sarah qui, comme moi, avaient d’abord trouvé ridicule l’idée de faire le tour des galeries Gagosian pour gagner une œuvre et qui, pour donner plus de sens à leur périple, interrogeaient aussi bien les aficionados que les galeristes ou les passionnés d’art dans le cadre d’un reportage sur l’initiative de Damien Hirst. J’aurais aimé pouvoir médiatiser - un peu - la ridicule gesticulation du chômeur mais est-il possible d’avoir l’outrecuidance de susciter l’intérêt dans une rubrique différente de celle dans laquelle nous sommes habituellement cantonnés : « il est dans la merde et surtout faites gaffe de ne rien revendiquer pour pas être comme lui » ?

Ray et Sarah furent intrigués par ma démarche et, je crois, quelque peu surpris par le raisonnement que je commençais à mieux maîtriser. Ils parurent intéressés par ma réflexion mosaïque, éclatée comme tous ces points aux quatre coins du monde. Je pensai au « point blanc » qui virait au jaune pâle, celui que, justement, je voyais derrière Ray lorsqu’il me parlait. Je n’avais plus l’impression d’être le cadre au chômage de longue durée et systématiquement écarté de tout entretien et encore plus de tout poste, mais de faire partie d’un cercle privilégié pouvant citer Hamlet, parler d’Afrique, s’interroger sur l’art contemporain, deviser sur l’art conceptuel et la consommation de masse.

Dans la galerie de St Pancras, deux triangles étaient près l’un de l’autre et auraient pu former un carré s’ils avaient été rassemblés. Je pensai immédiatement à Kazimir Malevich qui avait peint un carré blanc sur fond blanc et à  Marcel Duchamp pour qui un objet devait être détourné de son usage premier afin de devenir une œuvre ; à l’instar de voyageurs tissant une toile et devenant leur propre objet d’art…
Je ne pouvais pas quitter Londres sans manger dans un pub, lieu ou j’aimais bien réviser lorsque j’étais accompagnateur de voyages pour payer mes études. Les pubs ont toujours des noms improbables inspirés de la campagne anglaise associant des animaux, la religion ou la mythologie : « the black swan and the raven », « the friar » ou «the mermaid and the singing sailor ». J’aime bien le côté suranné des moquettes épaisses, des lambris et des sièges de velours. Alors que je commandai un « fish and chips with peas », un londonien ayant un fort accent cockney s’invita à ma table. Il s’appelait Damien, était peintre en bâtiment et, étonnamment, avait sur le visage les mêmes taches blanchâtres que celle que j’avais vues à Paris.

Je me mis franchement à rire lorsque Damien me parla musique et qu’il mentionna « London Calling » des Clash. Je ne pus m’empêcher de lui parler de ses taches et de Joe Strummer qui avait été l’ami de Damien Hirst. Mais Damien ne connaissait pas Damien. Il ne connaissait que Joe, ses pinceaux et le rouleau qui en coulant lui mouchèterai les joues sans qu’aucun collectionneur ne puisse lui donner – de son vivant – une valeur marchande.
« London Calling » est toujours un album phare aux thèmes d’actualité. Mais Joe est mort. 

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