FRANCHEMENT JE ME DEMANDE…

Et si, finalement, la proposition de faire le tour du monde ne constituait pas une œuvre immatérielle qui ferait écho au goût de Damien Hirst pour la controverse et son désir de titiller le public ? Ce voyageur étant le gros point jaune, celui là la pastille violette, cet autre le pois vert, chacun ayant une carte estampillée d’un autre tampon de couleur ? Le monde ne serait-il rien d’autre qu’un vaste champ de pastilles ? Ou une autre grosse armoire abritant des pilules colorées et manipulées par un marionnettiste génial?

En préparant le voyage je me suis senti mal à l’aise car il est évident que la somme engagée est loin d’être anodine ! A quoi bon relever ce défi ? Jouer dans une catégorie qui n’est pas la sienne est une gageure ! On ne quitte pas le milieu d’où on vient sans prendre quelques violentes baffes par la « main invisible » !

A l’instar des milliers de gens qui n’ont d’autre choix que de participer au jeu social pour gagner une maigre pitance, concourir et peut-être gagner ou ne pas concourir et perdre de toute façon, le dilemme m’a fait perdre quelques heures de sommeil déjà pas mal agitées par des scénarii professionnels de plus en plus improbables.

Cependant, quel autre chômeur a-t-il plus de chance que moi ? Quel autre bénéficiaire du RSA peut faire un tour du monde ? Le miracle pour un athée tient plus d’une conscience aigue des atouts qu’il a en main et de ce qu’il en fait de son vivant que d’attendre… d’attendre et d’espérer. La société ne t’offre rien alors prends ce que la  vie peut t’offrir. Certes ! Mais ceci serait un vœu pieux sans l’énorme privilège que procure l’emploi d’hôtesse de l’air de son épouse et des prix particulièrement avantageux dont les personnels navigants bénéficient ! Cela serait impossible sans amis aux Etats-Unis qui me logeront et cela serait encore plus compliqué en ne parlant pas Anglais. En bref, sur l’échelle des capitaux tels que Pierre Bourdieu les a distingués (capital économique, culturel, social, ou symbolique), je suis loin d’être le moins bien loti !

Je suis conscient de cette chance qui, pourtant, ne semble plus en être une lorsque on ne possède qu’une petite partie des quatre capitaux ou qu’il nous en manque un. Dans un monde où des décérébrés occupent des postes clefs parce qu’ils ont été recrutés par des incompétents ne désirant pas qu’on leur fasse de l’ombre, dans un monde où l’emploi est un marché  dirigé par des commerciaux dont le but est de faire du chiffre, par des DRH qui s’enorgueillissent d’avoir un titre (D), qui pensent maîtriser les ressources (R) et qui ne comprennent rien aux dynamiques du H, les diplômés compétents, les jeunes talents ou les personnes pleines d’énergie et d’idées ne peuvent espérer rien d’autre que d’immigrer vers des paradis incertains, de se laisser socialement mourir ou alors de se faire remarquer d’une manière originale pour exister, d’être sportif de haut niveau voire, peut-être, d’être l’heureux maillon d’un réseau d’artistes choisis par de riches collectionneurs d’art…

Alors pourquoi ne pas faire ce tour du monde ? Pourquoi ne pas « penser à l’africaine » : puisque je n’ai pas d’avenir, il n’y aucune raison de faire des projets et autant vivre le moment présent !

Et si, finalement, Hirst, l’ancien prolétaire, sans le vouloir, avait créé une œuvre sociale et contestataire où les points disséminés dans plusieurs villes mondiales représentaient des anonymes dont l’exploitation est identique à celle que le marché de l’art fait de ses œuvres ?

A ce stade, je ne suis rien d’autre que le petit point blanc juste en-dessous de la grosse cédille formant l’interrogation qui est mienne.  

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