LA FIN N’EST QU’UN DEBUT
Ce jour là, il faisait beau et j’écoutais la
radio en revenant d’une zone industrielle d’une ville de banlieue parisienne
sans âme où je venais d’être licencié sans ménagement.
Sur la route, traversant des zones pavillonnaires
déprimantes, aux maisons toutes rigoureusement identiques, ou longeant des rues
bordées de résidences dortoirs grises et tristes, j’écoutais les
« Smiths ». Une bouffée de nostalgie m’enveloppa. Je me souvins du
concert auquel j’avais assisté dans une salle parisienne, l’Eldorado, il y a déjà
longtemps. Et je me mis à pleurer. Tous les espoirs que j’avais dans
l’avenir ; évanouis, engloutis, disparus. J’eus envie d’en finir.
Au volant de ma Saab cabriolet, dernier artifice d’un confort matériel me rattachant à la société de consommation, le vent et le soleil doux étaient à ce moment les deux seuls éléments qui me rattachaient au monde extérieur. J’eus le sentiment que j’étais passé du pois, au poids blanc.
La voix de Morrissey et les beuglements de vaches dans « Meat is murder », faisaient écho à ma condition de salarié que l’on occis comme un bovin. Après le tunnel de St Cloud, accélérer et plonger dansla Seine , comme Thelma et
Louise acculées par un destin qu’elles n’avaient pas choisi et qui ne leur
laissait que le choix de décider du moment de leur fin.
Ville d’Avray sortie 400 mètres.
Au volant de ma Saab cabriolet, dernier artifice d’un confort matériel me rattachant à la société de consommation, le vent et le soleil doux étaient à ce moment les deux seuls éléments qui me rattachaient au monde extérieur. J’eus le sentiment que j’étais passé du pois, au poids blanc.
La voix de Morrissey et les beuglements de vaches dans « Meat is murder », faisaient écho à ma condition de salarié que l’on occis comme un bovin. Après le tunnel de St Cloud, accélérer et plonger dans
Ville d’Avray sortie 400 mètres.
Il y a un peu plus d’un an je débutais un tour
du monde par révolte, pour me faire l’écho des anonymes que je croisais, que je
suis, et qui sont voués à disparaître socialement et économiquement dans
l’indifférence ou se soumettre à un conformisme généralisé. Au fil de mon
périple, j’ai réfléchi, j’ai regardé, observé, écouté et écrit. A mon retour,
rattrapé par les contingences j’ai moins écrit mais j’ai continué à
m’interroger sur le sens et l’absurde, le défi et l’abandon.
Tout enfant, juste après l’apprentissage de la
parole est philosophe car il pose des questions à ceux qui semblent être les
plus compétents pour lui répondre : ses parents ou les adultes qui lui
sont proches. Pourquoi la lune nous suit-elle partout où on va? Comment
fait-on pour avoir des Mammouths acteurs alors qu’ils sont morts ?
Pourquoi on a jamais d’argent alors que tu travailles tout le temps ?
Nos très vieux ancêtres, lorsqu’ils décidèrent d’explorer l’extérieur des grottes au-delà des horizons, avaient une attitude saine d’enfants curieux : pourquoi le soleil, lorsqu’il se couche, ne se lève-t-il pas du même endroit mais de l’autre côté ? Et ils allèrent voir.
Dans une entreprise, qu’elle soit paternaliste ou pas, le questionnement est souvent interdit car poser une question est déjà faire acte de rébellion et de différence. Il faut se conformer à la règle générale, se fondre ou accepter d’être seul. Le conformiste a la paresse intellectuelle du faible pour qui la vie doit être régie par l’aiguille des heures, par les saisons qui lui permettent de chausser alternativement ses chaussures de ski puis ses espadrilles en un mouvement rodé, engendrant les mêmes remarques ineptes autour de la machine à café sur le temps qui était clément ou mauvais pour la saison, sur l’épisode 12 de la télé réalité de la veille avec ses nymphettes aux yeux de biche et ses galureaux au vocabulaire de bœufs. Tout ça est parfait car cela ne l’empêche pas de mourir mais lui évite de le voir. Et c’est bien là le principal. Le conformiste meurt en groupe de son vivant en haïssant ceux qui lui ont demandé pourquoi.
Nos très vieux ancêtres, lorsqu’ils décidèrent d’explorer l’extérieur des grottes au-delà des horizons, avaient une attitude saine d’enfants curieux : pourquoi le soleil, lorsqu’il se couche, ne se lève-t-il pas du même endroit mais de l’autre côté ? Et ils allèrent voir.
Dans une entreprise, qu’elle soit paternaliste ou pas, le questionnement est souvent interdit car poser une question est déjà faire acte de rébellion et de différence. Il faut se conformer à la règle générale, se fondre ou accepter d’être seul. Le conformiste a la paresse intellectuelle du faible pour qui la vie doit être régie par l’aiguille des heures, par les saisons qui lui permettent de chausser alternativement ses chaussures de ski puis ses espadrilles en un mouvement rodé, engendrant les mêmes remarques ineptes autour de la machine à café sur le temps qui était clément ou mauvais pour la saison, sur l’épisode 12 de la télé réalité de la veille avec ses nymphettes aux yeux de biche et ses galureaux au vocabulaire de bœufs. Tout ça est parfait car cela ne l’empêche pas de mourir mais lui évite de le voir. Et c’est bien là le principal. Le conformiste meurt en groupe de son vivant en haïssant ceux qui lui ont demandé pourquoi.
Little boxes on the hillside, Little boxes
made of tickytacky*
Little boxes on the hillside, little boxes all the same
There's a green one and a pink one and a blue one and a yellow one
And they're all made out of ticky tacky and they all look just the same.
And the people in the houses all went to the university
Where they were put in boxes and they came out all the same,
And there's doctors and lawyers, and business executives
And they're all made out of ticky tacky and they all look just the same.
And they all play on the golf course and drink their martinis dry,
And they all have pretty children and the children go to school
And the children go to summer camp and then to the university
Where they are put in boxes and they come out all the same.
And the boys go into business and marry and raise a family
In boxes made of ticky tacky and they all look just the same.
There's a pink one and a green one and a blue one and a yellow one
And they're all made out of ticky tacky and they all look just the same.
Little boxes on the hillside, little boxes all the same
There's a green one and a pink one and a blue one and a yellow one
And they're all made out of ticky tacky and they all look just the same.
And the people in the houses all went to the university
Where they were put in boxes and they came out all the same,
And there's doctors and lawyers, and business executives
And they're all made out of ticky tacky and they all look just the same.
And they all play on the golf course and drink their martinis dry,
And they all have pretty children and the children go to school
And the children go to summer camp and then to the university
Where they are put in boxes and they come out all the same.
And the boys go into business and marry and raise a family
In boxes made of ticky tacky and they all look just the same.
There's a pink one and a green one and a blue one and a yellow one
And they're all made out of ticky tacky and they all look just the same.
Malvina Reynolds “Little Boxes” (chanson
introduisant la série WEEDS)
*(made of bad quality material – 1960’s
expression) “Français: de pacotille”
Ce jour, mon horoscope disait que mon numéro était le 8. Je hais les horoscopes qui dictent un avenir que des astres auraient dessiné pour nous.
Je ne crus pas judicieux de me plier aux ordres vociférés par mon supérieur hiérarchique dont l’expertise d’un logiciel l’avait propulsé manager - la médiocrité crie souvent plus fort que la raison. Ne désirant pas obtempérer face à des menaces, il m’invita alors à « dégager » en me rappelant que mon numéro était le 0. En y regardant de plus près, il est vrai que mon chiffre du jour, le 8, était effectivement composé d’un double 0 accouplé.
145km/h . La voix suave de Morrissey entame « Heaven
knows I’m miserable now ».
[…]
I was looking for a job, and then I found a job
And heaven knows I'm miserable now
In my life
Why do I give valuable time
To people who don't care if I live or die ?
[…]
I was looking for a job, and then I found a job
And heaven knows I'm miserable now
In my life
Why do I give valuable time
To people who don't care if I live or die ?
[…]
The Smiths “Heaven
knowns I’m miserable now”
J’accélère…
La Ville d’Avray est derrière moi. Je rentre dans le tunnel à 165km/h. Les lumières sur le mur du tunnel
oscillent entre le jaunâtre et le rouge. J’accélère encore. Les envolées
vocales de Morrissey et les néons du tunnel me propulsent 20 ans en arrière, à
l’Eldorado. Les Smiths sont sur scène, Morrissey chante avec un bouquet de
fleurs à la main, des volutes de fumée me piquent les yeux, des canettes de Kro
passent de main en main. Je reconnais dans les riff de guitare de Johnny Marr la
source d’inspiration d’Orthéo Lavega, groupe composé d’amis dont les histoires
personnelles les mèneront de l’espoir juvénile en l’avenir à la dépression, l’alcoolisme
ou, pire, au renoncement. Depuis, l’Eldorado est devenu le Comédia. La contrée
de rêve du jeune adulte a tourné à la farce.
175km/h. Les néons ne forment plus qu’une ligne continue, mélange de points colorés et de segments grisâtres. Ce point blanc de lumière, au fond du tunnel est la fin. Un rond laiteux qui donne sur une chute de 100 mètres. La guitare de Johnny Marr résonne dans ma tête plus forte que le bruit assourdissant des moteurs à explosion sur les murs d’une grotte.
175km/h. Les néons ne forment plus qu’une ligne continue, mélange de points colorés et de segments grisâtres. Ce point blanc de lumière, au fond du tunnel est la fin. Un rond laiteux qui donne sur une chute de 100 mètres. La guitare de Johnny Marr résonne dans ma tête plus forte que le bruit assourdissant des moteurs à explosion sur les murs d’une grotte.
Je pense à Michel Piccoli dans Les choses de
la Vie. Comme au-dessus de la Sibérie, les associations d’idées saugrenues me
surprennent. Le moment ne s’y prête pourtant guère ! Sanson racontait-il des
blagues de Toto à un condamné à qui il allait trancher la tête?
Le film des derniers mois se déroule devant
moi, à 195 images/secondes, au rythme des néons collés sur la façade noire du
tunnel. Ma révolte ressentie, les tombes blanches à New York, ma découverte de
l’art contemporain, le tic tac des feux de signalisation à Hong-Kong, les
gladiateurs de pacotille à Rome. Mais aussi Zavatta à l’humour désabusé, le
visage de Damien le peintre dans un pub londonien, mon ami Gary à Los Angeles
me demandant de donner du sens à mon périple et puis ce vieil homme vendant des
mouchoirs de papier en pleine nuit dans un quartier mal famé d’Athènes.
117ème sur 134 gagnants. 117. Un
chiffre totalement anonyme.
La voix et les paroles de Morrissey me semblent idéales pour effectuer le grand plongeon.
La voix et les paroles de Morrissey me semblent idéales pour effectuer le grand plongeon.
[…]
Sing to me
I don't want to wake up
On my own anymore
Don't feel bad for me
I want you to know
Deep in the cell of my heart
I really want to go
There is another world
Well, there must be
Well, there must be
Well ...
Bye bye
Bye bye
Sing to me
I don't want to wake up
On my own anymore
Don't feel bad for me
I want you to know
Deep in the cell of my heart
I really want to go
There is another world
Well, there must be
Well, there must be
Well ...
Bye bye
Bye bye
The Smiths “Asleep”
215km/h…
Le devoir
social, sorte de conformisme adopté par le plus grand nombre, m’avait poussé à
me lever tous les matins pour me glisser dans l’habit d’un
employé, quitte à me liquéfier sur place. Mon travail consistait à répondre au
téléphone, à faire tampon entre des clients mécontents et quelques collègues
désorganisés. J’avais bien proposé quelques améliorations mais elles avaient
toutes été repoussées et mon goût pour l’analyse, pour les idées novatrices rebondissaient
comme l’écho dans la pénombre d’une pensée caverneuse.
Il m’était arrivé, parfois, par besoin vital, pour avoir le sentiment que le monde n’est pas figé, de sortir, juste pour respirer, pour écouter France Culture, un débat, quelque chose qui soit autre chose que des banalités. Il m’était arrivé, parfois, aussi, de m’asseoir sur le trottoir du parking, de regarder les lignes blanches des avions à destination de Roissy, d’écouter le bruit que le changement aérodynamique des 15° de volets évoquait dans l’historique de mes rêves inassouvis.
Il m’était arrivé, parfois, par besoin vital, pour avoir le sentiment que le monde n’est pas figé, de sortir, juste pour respirer, pour écouter France Culture, un débat, quelque chose qui soit autre chose que des banalités. Il m’était arrivé, parfois, aussi, de m’asseoir sur le trottoir du parking, de regarder les lignes blanches des avions à destination de Roissy, d’écouter le bruit que le changement aérodynamique des 15° de volets évoquait dans l’historique de mes rêves inassouvis.
Good times for a
change
See, the luck I've had
Can make a good man
Turn bad
So please please please
Let me, let me, let me
Let me get what I want
This time
Haven't had a dream in a long time
See, the life I've had
Can make a good man bad
So for once in my life
Let me get what I want
Lord knows, it would be the first time
Lord knows, it would be the first time
See, the luck I've had
Can make a good man
Turn bad
So please please please
Let me, let me, let me
Let me get what I want
This time
Haven't had a dream in a long time
See, the life I've had
Can make a good man bad
So for once in my life
Let me get what I want
Lord knows, it would be the first time
Lord knows, it would be the first time
The Smiths “Please,
please, please, let me get what I want”
Cette fois j’étais sorti pour ne plus revenir,
sans un mot de réconfort d’un seul de mes collègues. Sauf pour me demander les clefs du local. Quelle
délicatesse. « Pardonne-leur, ils ne
savent pas ce qu’ils font ». Franchement, qui a bien pu prononcer une
telle absurdité ? Bien sûr qu’ils savent ! Ils sont seulement couards
et ne se respectent pas suffisamment pour réagir. André Gide dit un jour que
Staline s’appuyait sur la médiocrité pour asseoir son pouvoir. Quelle lucidité !
230km/h.
230km/h.
La Saab s’extrait de la grotte et la lumière
m’éblouit. Je survole la Seine. Comme d’autres passent Achéron, de vie à
trépas, je prends le chemin inverse et
enjambe le fleuve quittant la mort pour me diriger vers la vie. Derrière je
laisse la grotte et ceux qui veulent y rester. Je laisse le conformisme à ceux
pour qui la normalité gaussienne est le paragon de la réussite. Je choisis la
vie, synonyme de chaos mais aussi d’espoir.
Pourquoi ai-je freiné juste avant le
virage?
Un sursaut de lucidité ?
Un sursaut de révolte ?
Un sursaut de lucidité ?
Un sursaut de révolte ?
Je suis le 117ème participant au
défi de Gagosian sur 134, certes, et alors ? La rétrospective de Damien
Hirst m’aura permis de comprendre que l’anonymat n’est pas lié à une couleur
particulière et encore moins au blanc, source de mouvement et de dynamisme comme
j’ai pu l’expliquer dans « Rome Antique ou en Toc ». L’anonymat, le
vrai, est celui des conservateurs de tous bords - des stupides aurait dit Carlo
Cipella - dont la survie mentale n’est assurée que par la perte de la votre. Ils
sont particulièrement nombreux et vivent toute nouvelle idée comme une insulte,
un miroir dans lequel se reflète leur abyssale connerie. L’anonyme, le vrai,
est celui qui adopte l’attitude du plus grand nombre car c’est plus simple
alors que le révolté, le point blanc, trace sa voie seul ou accompagné d’un
idéal. L’insoumis regardera les étoiles et se dira qu’il faudra peut-être mourir
pour faire vivre son rêve alors qu’un anonyme conformiste préférera végéter,
tel un vermisseau, jusqu’à l’hiver de son existence. L’insubordonné se
détachera de la pensée convenue, s’extraira du tableau navrant de points aux
couleurs criardes mais sans reliefs, sans identité et sans mouvement.
Sur l’un des murs de mon appartement je
contemple des points de couleur aux diamètres rigoureusement identiques et
parfaitement alignés. 20 lignes horizontales, 21 verticales, 420 points de
couleurs.
Je les regarde avec amusement et compassion. Aucun n’est blanc.
Je les regarde avec amusement et compassion. Aucun n’est blanc.
Little boxes on the hillside, Little boxes
made of tickytacky
Little boxes on the hillside, little boxes all the same
There's a green one and a pink one and a blue one and a yellow one
And they're all made out of ticky tacky and they all look just the same.
And the people in the houses all went to the university
Where they were put in boxes and they came out all the same,
And there's doctors and lawyers, and business executives
And they're all made out of ticky tacky and they all look just the same.
[…]
Little boxes on the hillside, little boxes all the same
There's a green one and a pink one and a blue one and a yellow one
And they're all made out of ticky tacky and they all look just the same.
And the people in the houses all went to the university
Where they were put in boxes and they came out all the same,
And there's doctors and lawyers, and business executives
And they're all made out of ticky tacky and they all look just the same.
[…]